ACTU-NEWS - Décembre 2022

Le Metaverse : une innovation responsable ?

Ferran ARGELAGUET, chargé de recherche à l’Inria, nous partage son expertise et son point de vue sur le Metaverse.

Dr. Ferran Argelaguet fait partie de l’équipe Hybrid à l’Inria qui est mondialement reconnue dans le domaine scientifique de la réalité virtuelle.

Ses principaux intérêts de recherche sont l’amélioration et l’évaluation de l’expérience utilisateur en réalité virtuelle.

Le Metaverse est un concept encore flou pour de nombreuses personnes. Quelle est votre définition du Metaverse ?

La définition du Metaverse est complexe, car il n’existe pas un seul Metaverse, donc la définition peut varier en fonction de son objectif et du contexte.

Il existe un certain nombre d’éléments nécessaires à tout Metaverse donné :

• tout d’abord, un Metaverse peut être considéré comme un environnement virtuel collaboratif, un lieu dans lequel les gens peuvent se rencontrer et interagir les uns avec les autres,

• deuxièmement, le Metaverse doit être expérimenté en étant immergé dans un environnement virtuel en 3D, un environnement qui peut être expérimenté par des technologies immersives telles que la réalité virtuelle et augmentée,

• enfin, le Metaverse doit être persistant, les utilisateurs doivent pouvoir le modeler et le faire évoluer dans le temps.

Le Metaverse est souvent critiqué. Pour autant, peut-il être une innovation responsable pour la société ? Pour quels domaines ?

Comme indiqué précédemment, le nombre de Metaverses est potentiellement infini, et chacun d’entre eux pourrait servir des objectifs différents. Les Metaverses peuvent constituer une nouvelle étape dans l’amélioration de la communication et de la collaboration entre les citoyens et les professionnels, et avoir un impact potentiel sur un grand nombre de domaines.

Par exemple, les outils de visioconférence actuels, bien qu’ils offrent une bonne solution pour un nombre limité de participants, découragent les échanges bilatéraux entre les participants, et la perception des autres participants est limitée. En revanche, les technologies immersives, qui permettent à des utilisateurs distants de partager un espace virtuel en 3D, pourraient améliorer ces échanges.

Un autre domaine qui pourrait largement bénéficier des fonctionnalités offertes par les Metaverses est le domaine culturel et artistique. Bien que nous soyons encore loin de recréer une expérience totalement réaliste, les Metaverses pourraient permettre aux utilisateurs de faire l’expérience collaborative de lieux et de mondes éloignés, et de s’exprimer à travers de nouvelles formes d’art.

Auriez-vous des exemples de services innovants qui pourraient voir le jour dans le Metaverse ?

Il est difficile de prédire quelle solution rayonnera dans le Metaverse. Pourtant, je pense que la téléprésence pourrait être l’un des principaux atouts du Metaverse. Pouvoir rencontrer et discuter virtuellement avec des collègues ou des membres de la famille éloignés pourrait n’être qu’un début.

Les technologies immersives permettent aux participants de se sentir présents avec les autres, ce qui peut créer l’illusion que vous partagez physiquement l’espace avec les autres.

Des Metaverses plus avancés pourraient également être utilisés non seulement pour discuter avec la famille et les collègues, mais aussi pour permettre l’exploration d’informations complexes. De la même manière que nous pouvons partager notre écran de bureau lors d’une téléconférence, nous pourrons partager des données en 3D et les explorer avec les autres membres de la réunion. Cela pourrait avoir de nombreuses applications dans les sciences des données, les examens architecturaux ou la formation.

En revanche, quels sont les principaux risques associés aux environnements virtuels ?

Pourquoi de nombreuses personnes sont encore méfiantes envers cette technologie ?

Les risques associés au Metaverse ne sont pas très différents des risques auxquels nous sommes déjà confrontés avec d’autres technologies. L’exposition de la vie privée et le harcèlement sont déjà des risques dans la vie réelle et les réseaux sociaux actuels. De plus, le Metaverse est également associé à une autre technologie controversée comme la blockchain et les NFT. Cela accroît encore plus la méfiance à l’égard de ces mondes virtuels. Néanmoins, certains Metaverses pourraient soulever de nouveaux problèmes potentiels qui nécessiteront une réglementation spécifique, comme la protection des données et de la propriété intellectuelle.

Selon vous, quels seront les principaux défis des marques pour réussir leur lancement dans le Metaverse ?

Je pense que le succès d’un Metaverse sera lié à sa capacité à fournir un service à forte valeur ajoutée. Le principal problème de mon point de vue est que les Metaverses actuellement disponibles ne répondent pas à une demande du marché, ils fournissent une offre en attendant la création de la demande. Des études de marché sont nécessaires pour mieux comprendre comment les Metaverses peuvent changer la donne.

Selon une étude du cabinet McKinsey, le marché du Metaverse pourrait représenter jusqu’à 5 milliards de dollars d’ici 2030.

Quel est votre avis sur ces prévisions ?

Je pense que l’adoption des technologies immersives va augmenter, cependant, le succès économique de ces technologies ne sera possible que si elles répondent à une demande réelle, et tous les Metaverses ne seront pas couronnés de succès. Néanmoins, compte tenu du développement et de la croissance rapides des technologies immersives, je m’attends à ce que certains de ces Metaverses le soient.

Interview réalisée par Estelle Raffin / Publié le 2 décembre 2022